
J'ai réfléchi à cette constatation, et voici ce que j'ai envie de dire aujourd'hui. D'abord, je ne cautionne pas forcément le mot "scandale". Très rares sont les livres, après tout, à vraiment faire un soi disant "scandale" dans notre société bien plus consensuelle qu'il n'y paraît. Les notions d'impact ou d'événement me semblent plus justes et appropriées. Et Quai d'Orsay, pour reprendre cette référence (mais on pourrait aussi citer Il était une Fois en France) rassemblent ces deux critères. C'est déjà appréciable. Car quel livre de littérature ou d'essai aurait fait scandale en 2010 ? Le livre d'Onfray sur Freud, oui, peut-être. Mais on n'en voit pas forcément d'autre.
Une BD qui fait scandale, j'en vois pourtant une : Tintin au Congo. Ce qui nous amène à la notion suivante, qu'on oublie toujours : le fameux scandale, s'il doit y en avoir un, vient presque toujours après. C'est avec le temps qu'il éclate (éventuellement). A part donc des actes de provocation pure et délibérée, on ne peut donc pas regretter un "scandale" qui , par nature et presque par essence, ne peut pas être simultané à la diffusion de l'oeuvre. Cela étant, Moebius a raison lorsqu'il évoque le regard qu'on porte sur la BD. Un dessin de presse peut dénoncer et avoir une dimension sociétale immédiate. Je dis bien : un dessin de presse. Or, une BD n'est pas une succession en cases de dessins de presse. C'est a priori (et c'est en tout cas ma définition) un récit, un type d'écriture qui mêle mots et dessin. Un art tout à fait noble et essentiel, bien sûr, mais qui cherche avant tout à raconter, à témoigner, à imaginer, à inventer (pas forcément à évader ou à détendre, qu'on soit bien d'accord). Qu'une BD puisse ainsi atteindre le statut de "brûlot" (qui pourrait correspondre à celui de "scandaleux") me semble donc assez irréaliste.
Ce n'est pas pour ça qu'une BD ne pourrait pas avoir un impact (j'en reviens à ce terme) aussi fort qu'un roman. Le Choix de Sophie est inoubliable, Maus l'est tout autant. Mais pour le faire savoir, il faut des passeurs, des relayeurs : critiques, journalistes, animateurs, autres auteurs - il faudrait que la BD soit plus exposée, plus expliquée, plus respectée peut-être. Et elle trouverait un peu plus sa place dans la culture au sens large. Ce qui lui fait encore défaut, il faut bien le reconnaître. Et ça, Moebius, le sait mieux que personne.