J'entame aujourd'hui la publication de ce que j'appelle donc Mon aBcDaire -faute de mieux- : réflexions autour de la BD, de ce que représente ce moyen d'expression, son poids, ses codes, ses séries, ses héros, mes impressions de lecture, mes avis... Une sorte de journal autour de la bande dessinée, sans prétendre avoir une connaissance universelle du médium et encore moins d'avoir tout lu ! On commence avec un super héros que tout le monde connait...
BATMAN
Lorsque j’étais plus jeune, et au moment où je me suis "éveillé" aux super-héros, Batman manquait cruellement de super-pouvoirs pour m’intéresser complétement. Après tout, il est vrai qu’il ne s’agit que d’un certain Bruce Wayne qui se déguise la nuit en chauve-souris pour aller chasser les malfaiteurs ; même s’il est très fort, il n’y a rien de fondamentalement spectaculaire là-dedans. De plus, je crois me souvenir que le graphisme en vigueur pour ce personnage dans les années 70 n’était pas formidable, mais il se peut que les exégètes me contredisent sur ce point. En tout cas, aucune case ne m'avait marqué, ce qui est pourtant toujours le cas des oeuvres fortes. Je reviendrai d'ailleurs souvent sur ce thème dans cet aBcDaire : le pouvoir des cases et leur influence sur tout un imaginaire.
Aujourd’hui, la situation a changé en tout cas, et Batman est devenu depuis assez longtemps déjà mon super-héros préféré. J’avoue que j'ai été un peu comme tout le monde : les albums de Frank Miller l’ont revitalisé à mes yeux et les films (notamment les deux premiers, réalisés par Tim Burton) ont fait le reste. Batman est devenu un mythe et c’est précisément sa dimension humaine, que je regrettais étant enfant, qui en fait sa richesse.
Pour ce qui est du cinéma, je me souviens que le premier Batman a vraiment été un événement. Tim Burton, Jack Nicholson, Michael Keaton, Kim Basinger… casting royal en cette année 1989 ! Rajoutons également la légendaire BO de Prince (avec plusieurs titres imparables, dont un chef-d’œuvre : Scandalous) et des décors somptueux – bref, un sacré bon souvenir. Ce fut même encore mieux deux ans plus tard avec Batman le Défi, même s’il n’y avait plus Prince côté musique. En revanche, comme beaucoup, je pense que ce fut moins bien après, mais je n’ai pas manqué d’aller voir Batman Forever (le moins bon de la série) et Batman & Robin, qui ne m’a pas semblé si mal après tout. Vu dans un avion, Batman Begins m’a paru excellent, mais le décalage horaire a eu raison de moi, et je n’ai pas vu le dernier quart d’heure ! Je me souviens en tout cas très bien de la voix en VO de Batman lorsqu'il est masqué et en action - un timbre extraordinaire.
Côté BD, la renaissance de Batman est intervenu au milieu des années 80 en la personne de Frank Miller. J’ai été marqué par son utilisation dans The Dark Knight Returns (Miller avec Janson & Varley, DC) des écrans de télévision comme sources d’informations – au sens propre car ce sont des cases à part entière, et au sens figuré car ce sont précisément des bulletin de news que l’on voit. Le découpage était très fort, avec beaucoup de voix intérieures, le propre même des graphic novels. Néanmoins, je trouvais le dessin à peine assez réaliste pour un Batman et je n’ai pas aimé l’intervention de Superman à la fin. Bon sang, Batman doit se suffire à lui seul ! Tout a été corrigé ensuite avec Batman : Year One (Miller avec Mazzuchelli & Lewis, DC) où là, on atteint le chef-d’oeuvre. Narration un poil plus sobre, dessins plus sombres, action centrée autour de la naissance du personnage – un classique, la base de tout récit moderne de l’homme chauve-souris. Tellement influencé par cette oeuvre, j’ai même réussi à faire apparaître Batman dans ce qui a été mon deuxième album de BD (Spartakus, Fatal Carnaval – avec Michel Valdman, Dargaud, 1994) ! Et quitte à en remettre une couche, j’ai de nouveau fait appel à Batman dans Mongo le Magnifique, Une Affaire de Sorciers T1 (avec Roger Mason, EP Editions, 2004) lorsque je le fais intervenir en rêve – précisément quand Mongo (un détective privé nain, mais au QI phénoménal) se fait mordre par une chauve-souris enragée. L’occasion était trop belle et je me souviens de la joie de Roger lorsque je lui ai annoncé qu’il allait pouvoir dessiner Batman ! Comme quoi, cet homme qui n’est pas un super-héros, mais un héros tout court, suscite bien des convoitises. Je finirai ces souvenirs personnels en rappelant que j’ai également dédié le T3 de ma série Hauteclaire (Le Reflet des Lames, avec Benoit Lacou, EP Editions, 2004) à Bob Kane, « pour son oeuvre et son personnage majeur ». Il y a vraiment des influences qu’on ne pourra jamais renier.
Bruce Wayne, enfant de riches, voit ses parents assassinés sous ses yeux : histoire simple et forte, tragique et intemporelle. De ce drame originel va donc naître sa vocation de se venger, de traquer les assassins, les voleurs et les « méchants » de tout poil. Il ne faut pas chercher plus loin les clefs du succès – la quête d’un enfant devenu adulte mais qui n’oubliera jamais sa cicactrice juvénile et qui ne parviendra pas à totalement maitriser son immense tristesse rageuse est assurément poignante et universelle.
Le coup de génie vient pourtant, selon moi, ensuite : dans le costume. Le masque avec les deux oreilles stylisées, les longs gants, les bottes montantes et surtout la cape - ce n’était pas évident de partir d’un animal aussi repoussant (la chauve- souris) pour arriver à un héros aussi charismatique. Bob Kane peut être remercié éternellement, même si le charme actuel vient avant tout d’un certain relookage du costume, précisément, beaucoup plus agressif et « cuir » que l’original. On ne se lasse pas, en tout cas, de voir des dessins de Batman contemplant la nuit le décor baroque de sa ville, Gotham, avec sa longue cape tombant dans le vide... Il y a là une certaine facilité, peut-être, dans le concept, volontiers démonstratif et posé, mais la recette fonctionne et on est forcément impressionné par ce genre d’image. Alors, ne boudons pas notre plaisir.
Pendant les années 90, j’ai acheté beaucoup de recueils de Batman parus chez DC. Il faut dire que cet éditeur avait flairé le filon et on ne comptait plus les sorties, plus sensationnelles les unes que les autres. J’étais –et je suis toujours- fasciné de voir comment l’éditeur historique avait morcelé l’oeuvre pour la décliner en autant de divisions et sous-divisions. Chacun avait sa part du gâteau, et il y en avait pour tous les goûts. Mais le plus fort est que l’édifice global tenait debout. Ca partait dans tous les sens mais aucun scénariste ne faisait s’effondrer la batmaison. Je me suis souvent demandé pourquoi Dargaud n’avait pas eu l’idée d’exploiter encore plus le mythe Blake & Mortimer de cette façon. Avec Batman, on avait la preuve que c’était possible : des équipes différentes et talentueuses pouvaient travailler en même temps, avec chacun sa patte et son respect de quelques règles sacrées (par exemple : les parents de Bruce Wayne sont bien morts assassinés sous ses yeux) mais avec une idée de carte blanche pour chaque projet. Je pense à Blake & Mortimer parce que c’est le dernier exemple d’une résurrection franco-belge en forme d’événement. Plutôt que de sortir des ersatz de Jacobs, on aurait pu –dû- dynamiser et moderniser les personnages en multipliant les collaborations et les cadres des récits. Une série mère, d’accord, mais des séries parallèles plus nombreuses... Du coup, diversité, intérêt, renouvellement.
Mais revenons à ces albums américains de Batman. Le plus célèbre est sans doute le Killing Joke, scénarisé par Alan Moore et dessiné par Brian Bolland. Les deux premières pages sont fabuleuses : Batman arrive à l’asile d’Arkham, pour rencontrer le Joker, et il n’y a aucune bulle. Juste la présence de ce personnage instantanément densifié. Très fort. Ensuite, le récit est centré sur le Joker, et c’est là que j’accroche moins, dans le sens où je ne suis pas fan du Joker, de ses élucubrations, de son visage, de sa folie – qui me lasse un peu. Mais on parle ici de forme, car dans le fond, l’idée est extraordinaire. Profiter d’un album de Batman pour s’intéresser au Joker (et à sa duplicité avec Batman), c’est justement profiter des libertés narratives offertes par DC et que Moore a aussitôt comprises et surtout détournées. Et voilà comment on revisite, réinvente et reconstruit un personnage sur lequel on pensait avoir tout dit. Je le répète : laisser un mythe aux mains de quelques créateurs peut s’avérer formidable.
Dans la même veine, on citera l’hypnotique Arkham Asylum d’un duo fameux : Grant Morrison et Dave McKean. McKean illustrant Batman ? Stop the press ! La promesse assurée du grandiose. Eh bien non. Evidemment, il y a des images exceptionnelles, un sens de l’illustration poussée à son paroxysme, mais à mon avis, Batman est en partie raté. La faute à une cape mal fichue, avec des sortes de revers sur le dessus qui font l’effet de cheveux frisés sur le costume. Un détail peut-être, mais qui enlève une partie de l’imaginaire de Batman. Où est la dimension du personnage si sa cape n’est pas impressionnante ? Je suppose que McKean pourrait s’expliquer des heures et justifier sans problèmes ses choix figuratifs (qui confinent vraiment au génie), mais je serai toujours désolé de m’arrêter à cette petite constatation. Il faut de toute façon avouer que la lecture de ce livre torturé et littéralement expérimental n’est pas aisée.
Du même Morrison, on peut préférer Gothic (avec Janson) ; une histoire de nouveau horrifique mais où le mythe de Faust est revisité avec astuce dans le cadre de Gotham. C’est pourtant une visite que fait Batman dans un château abandonné autrichien qui reste en mémoire.
Parfois, on tombe dans le n’importe quoi et on n’échappe pas au grand ramasse-miettes de la création, pardon : de la récupération. Batman & Dracula : Red Rain (Moench, Jones, Jones III & Dorscheid), Batman Aliens (Marz & Wrightson) –oui, oui, Batman affronte les Aliens du film de Cameron !- ou encore Batman : The Abduction (Grant, Breyfogle & Hodgkins) où il fallait bien qu’on parle un jour d’extraterrestres. Même Spawn Batman (signé pourtant par un tandem à faire pâlir, McFarlane et Miller en personne) n’échappe pas au ridicule.
En fait, il faut être plus malin et carrément partir vers de nouvelles voies. C’est ce qu’a bien compris l’équipe composée d’Augustyn, Mignola (le créateur de Hellboy, crédité à l’époque sous son prénom complet « Michael » et non « Mike »), Craig Russell et Hornung dans : Gotham by Gaslight, une histoire annoncée comme « alternative » à Batman. Comme son titre l’indique, l’action se passe dans un Gotham du passé, au XIXe siècle, quand les rues étaient encore éclairées au gaz et non à l’électricité. Dans ce Gotham règne un certain Jack l’Eventreur, qui n’est pas pour rien dans l’assassinat des parents Wayne. Là encore, on ratisse large mais l’histoire est réellement fascinante et l’atmosphère de ce mélange de Gotham et de Londres frappe les esprits. Une réussite d’autant plus remarquable qu’il y avait tous les ingrédients pour se fourvoyer. Même le costume à l’ancienne de Batman est superbe. Le succès de cet album fut tel qu’une collection baptisée Elseworlds fut créée par DC : le principe était bien d’y retrouver les héros dans « d’autres mondes » que le leur. Hélas pour le scénariste Brian Augustyn, son Master of the Future n’avait pas la même implacabilité que Gotham by Gaslight. En revanche, Batman/Houdini : The Devil’s Workshop (Chaykin, Moore & Chiarello) était une réussite incontestable, avec l’introduction excellente d’un personnage réel, à fort pouvoir scénaristique : le magicien et l’illusionniste Harry Houdini.
En illustration pure, mention spéciale à The Chalice (Dixon & Van Fleet) et Castle of the Bat (Harris & Hampton).
Le dernier Batman américain que j’ai acheté est Hush (Loeb, Lee & Williams), mais dès que je vois des monstres grand-guignolesques, je fuis. C’était le cas. Et puis, si je vénère Batman, je trouve toujours que les autres héros qui l’accompagnent (Catwoman, Robin) sont inutiles.
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