Sur cette photo, on peut apercevoir Damon Lindelof et Carlton Cuse, les deux têtes pensantes de Lost, à leur bureau à quelques jours de la diffusion du dernier épisode de cette série que nous avons suivie avidement pendant six ans.
Pendant six ans donc, nous avons tous cru qu'ils étaient les plus grands scénaristes vivants - et pratiquement les plus grands créateurs de concepts du monde moderne. Un avion s'écrase sur une île déserte ? Il n'y a que quelques survivants ? Ils sont en tout cas confrontés à tout un tas de phénomènes bizarres : idée simple et géniale. Tellement développée par la suite qu'il semblait évident que tout était écrit depuis le début, que la fin était déjà coulée dans le marbre avant même le premier plan et que tout se justifiait sur l'autel de la plus étonnante construction narrative de l'histoire de la télévision.
On sait maintenant (et on s'en doutait depuis le début de la saison 6, si insipide) que ce n'était pas le cas. Il y avait bien l'idée générale qu'ils étaient tous morts ou qu'ils allaient l'être et que tout ce qu'ils vivaient (ou avaient vécu) n'était pas réel. OK, sur ce point, le dernier épisode est réussi et l'émotion est au rendez-vous. On pensait qu'on allait terminer avec le même plan que le tout premier : l'oeil de Jack qui s'ouvre. En fait, non, il se ferme car il meurt. Bien vu, si l'on ose dire, c'est fort et c'est même beau. Ca n'enlèvera rien à toutes ces heures passées à attendre fiévreusement les épisodes et à les disséquer presque plan par plan. On assume. Mais ça ne fait que souligner aussi les espoirs déçus.
Je ne dis pas qu'il fallait une réponse à tout. Dans un article du magazine américain Wired (où la photo ci-dessus est tirée), on pouvait lire il y a quelques semaines l'intertitre suivant : "pressés de donner des réponses, les hautes autorités de Lost ont au contraire engendré des mystères encore plus profonds". Pourquoi pas ?, ça me semble même assez justifié. Mais ce n'est pas pour ça qu'il faut passer outre tout ce qu'on a réussi à construire et à quasiment "mythifier" : les chiffres mystérieux, le bouton à presser toutes les 108 minutes, l'initiative Dharma, les films abîmés, les voyages dans le temps, l'équation qui explique la fin du monde, les théories quantiques, le personnage même de Desmond... autant de ballons fantastiques jetés dans le ciel de l'imagination pour juste épater la galerie ? Eh bien oui ! Sans oublier la question primordiale : qu'est-ce que cette île ? On ne le sait toujours pas. Et là, ce n'est pas de l'élégance, c'est de l'impuissance.
Retrospectivement, la saison 1 était pas mal, mais sans plus. Le premier épisode est canon, ainsi que celui où Ethan est démasqué comme étant un intrus dans le groupe des survivants. Mais les aller-retours entre les vies passées et actuelles étaient un peu longs à la longue. Dès le premier épisode de la saison 2, on rentre dans le dur : d'autres personnes habitent l'île et certains sont même chargés de mission très bizarres (Desmond et ses 108 minutes, j'ai un faible pour ça). Ca monte ensuite encore (la roue qui tourne, l'île qui se déplace, la statue égyptienne, les flash forwards, Jacob !) (nom de dieu, tout ça c'était quand même fabuleux) et les saisons 4 et 5 nous captivent comme jamais. Mon épisode préféré reste d'ailleurs The Constant (4x8 si je ne m'abuse) où Desmond voyage à travers le temps et rencontre l'autre personnage très fascinant de la série : Faraday. La saison 5 se termine avec un affrontement ancestral entre Jacob et l'homme en noir - wow ! on est scotché. Et toutes ces références littéraires/bibliques/philosophiques/scientifiques ? Forcément un travail de ouf qui va déboucher sur une fin hallucinante, car ce n'est pas possible d'avoir autant travaillé en amont pour finalement nous dire qu'ils sont dans un purgatoire, n'est-ce pas ?
Et puis patatras, tout s'écroule dès le premier épisode de la saison 6. Le temple, les hippies (qu'est-ce qu'ils viennent foutre là ? Et c'est quoi cette malédiction de Sayid, et cette résurrection ? A quoi ça sert ?), Widmore qui revient, les personnages qui continuent de traverser à chaque épisode l'île de droite à gauche, puis de gauche à droite sans nous dire pourquoi, les mêmes qui vivent une vie parallèle globalement inintéressante à Los Angeles : grosse désillusion. On arrive même à nous décevoir avec deux histoires qui promettaient beaucoup : celle de Richard l'éternel (on croyait que c'était un soldat romain, c'est un prisonnier espagnol du XIXe siècle - pourquoi bon sang ?) et celle de Jacob et son frère (c'est quoi cette histoire de lumière à protéger qui arrive comme un cheveu sur la soupe à deux épisodes de la fin ?). Seules réussites : l'idée du phare avec les miroirs où Jacob observait les vies des "candidats" (là aussi, pas terrible comme notion) et l'épisode où Desmond (encore lui) revient et tente notamment d'écraser Locke (pourquoi au fait ?). On tombe de haut.
Mais bon, la fin est, d'un strict point de vue formel et même basique, réussie, répétons-le. Un peu à la manière du film Sixième Sens... Ah oui, ils sont tous morts en fait... A la rigueur, on aurait pu passer directement de la saison 1 à 6 que ça aurait été plus logique. Sauf que, pas de chance, ce sont biens les saisons 2 à 5 qui nous ont fait rêver.