08 avril, 2010

Un (long ?) destin de BD


Sortie aujourd'hui de mon 28e album de bande dessinée : Un long Destin de Sang, Acte I. Lequel coïncide avec une sorte de petite célébration perso, puisque cela fait 20 ans que je suis dans la BD. C'est en effet en avril 1990 qu'était sorti mon tout premier album : Les 13 Transgressions, avec Godard et Coutelis, aux éditions du Vaisseau d'Argent. L'occasion pour moi de faire une sorte de petit bilan...

Revenons d'abord brièvement sur Un long Destin de Sang. C'est d'évidence mon album le plus important à ce jour. D'abord parce qu'il est clairement ambitieux dans son traitement, avec son côté choral qui représente évidemment un gros travail en amont. Je suis très fier d'avoir passé des heures et des heures à travailler ce scénario qui aboutit, je crois, à une histoire fluide et marquante, ce qui n'est jamais gagné en BD. Il y a parfois quatre actions en simultanées, mais ça passe et c'était bien sûr mon grand défi. En tout cas, ce fut jouissif à écrire et à mettre en scène. Je mentirais en disant que je ne suis pas sensible aux premières critiques qui ont fleuri et qui sont toutes très positives : ça fait plaisir et c'est la récompense d'un gros travail de densification de l'histoire, ce que je recherche toujours car j'ai parfois l'impression que c'est le danger qui nous guette, nous scénaristes de BD : de tirer à la ligne autour d'une seule bonne idée dans un album. Il faut toujours se remettre en cause et toujours chercher comment nourrir une histoire.
Au-delà d'un succès d'estime, j'espère que l'album trouvera son public. Il sort en tout cas simultanément en néerlandais et en espagnol. Je presse déjà 12 Bis de sortir l'an prochain une version noir et blanc des deux tomes réunis en un seul livre, pour apprécier encore plus l'extraordinaire dessin de Fabien Bedouel. Je remercie au passage Frédéric Bosser qui a été le premier à vraiment croire en ce projet et qui propose dans le dernier numéro de dBD une longue interview de vos serviteurs.
Enfin, rêvons un peu, je me dis qu'Un long Destin de Sang ferait vraiment un bon film...

Je m'amuse en tout cas à prendre cette sortie comme un symbole. Comme si les premiers 20 ans se terminaient juste avant cet album et qu'une deuxième phase commençait pour moi. Un long Destin de Sang, c'est l'album de la maturité pour moi, c'est aussi un projet qui représente ce vers quoi je voudrais me tourner dorénavant : des histoires plus ancrées dans le réel ou le contemporain, plus tournées vers les personnages, un peu plus littéraires et émouvantes (si possible !). Mes premiers 20 ans, il faut bien l'avouer, ont été tournés en majorité vers le fantastique et la science-fiction : ApocalypseMania, L'ultime Chimère, Speedway, Spartakus, Chinguetti... Je n'ai que très rarement montré que j'avais d'autres envies : AD Grand-Rivière, London Inferno, Hauteclaire... Il est temps de revenir à ce genre d'histoire et je suis d'ailleurs en ce moment occupé à essayer de placer un polar-thriller assez éprouvant baptisé $uburbia, où j'ai voulu faire mon Ellroy... J'ai toujours mon roman graphique Bandaiyan, consacré à la naissance de l'Australie, qui est en chantier, je vais bientôt avoir écrit les 2/3 des 550 pages prévues. J'ai aussi proposé un autre roman graphique à 12 Bis sur un thème d'actualité, j'espère qu'il se fera. Et n'oublions pas le XIII Mystery par dessus tout ça : il devrait sortir en juin ou septembre 2012 (dernières infos en provenance de JVH himself) et je peux vous garantir que l'histoire de Billy est assez choc et parfois très crue.

Bref, vingt nouvelles années s'ouvrent devant moi, et je crois qu'elles seront riches. Cela me vaudra-t-il un jour un authentique succès ? Sans doute avec le XIII Mystery, mais j'aimerais bien qu'une de mes créations originales ait un impact. Quel est l'auteur qui ne le souhaiterait pas ? Je reste malgré tout très humble car au bout de 20 ans, force est de constater que je ne pourrais toujours pas vivre de la BD uniquement. Une sacrée leçon d'humilité, non ? Il n'y a qu'un seul de mes 27 albums qui me rapportent un peu de droits d'auteur sur les ventes : Couleurs spectrales, le T1 d'ApocalypseMania, qui a dépassé les 20 000 exemplaires au bout d'une petite dizaine d'années d'exploitation.

Qu'on se rassure cependant : la passion est toujours intacte. J'ai toujours eu le sentiment, depuis que je suis enfant, que la BD, ce médium si particulier, était fait pour moi. Je n'ai pas changé d'avis. Je vis littéralement BD. Ma femme et mes enfants me voient faire des cases tous les soirs, ils ont depuis longtemps renoncé à se demander si j'étais vraiment fou... Je me sens mal, presque physiquement, lorsque je n'ai pas le temps ou la force de faire au moins une ou deux planches chaque jour. Un vrai manque lorsque mon autre travail ou le quotidien m'empêchent de créer... J'ai vraiment besoin de ça ! C'est grave docteur ?

On me demande parfois quel regard je porte sur mon "oeuvre". Précisons d'emblée que j'assume évidemment tout, qu'il n'y a aucun album que j'ai ou bâclé ou fait à la légère. A chaque fois, je donne le meilleur de moi-même et je suis "dans" mon histoire. Je crois avoir fait au fil des années de gros progrès sur les dialogues, mais mon défaut reste sans doute dans le rythme de mes histoires : parfois trop lent, ou trop statique, comme dans le T1 de L'ultime Chimère. Je pense pourtant bien savoir faire monter la pression, mais peut-être pas la conserver ou l'exploiter totalement. Mais une série comme L'Idole & le Fléau montre que ça s'améliore (j'espère) !
Bref, pour répondre à la question, j'aime bien les trois premiers tomes d'AD Grand-Rivière, le T2 d'Hauteclaire, le T3 d'ApocalypseMania, le T1 de Mongo le Magnifique, le T4 de L'ultime Chimère...

Mais mes cinq albums préférés sont : Un long Destin de Sang (la totalité), le T6 de L'ultime Chimère (à paraître en septembre prochain), le T6 d'ApocalypseMania - et London Inferno. Evidemment, Billy viendra rejoindre très vite cette liste et je sais que je considérerai sûrement toujours Bandaiyan comme mon chef-d'oeuvre, si j'ose employer ce mot.

Les regrets de ces 20 ans ? Sans doute les ventes modestes de la plupart de mes ouvrages, mais aussi le manque de participation à des festivals ou à des manifestations autour de la BD (j'adore parler de mon métier pourtant...), le relatif isolement par rapport à certains de mes confrères que je connais fort peu (mais cela change depuis quelques années où j'ai pu enfin nouer certaines amitiés sincères et qui m'honorent beaucoup), le fait enfin de ne pas être arrivés à rejoindre le catalogue de certaines maisons d'édition alors que je ne demande que ça (mais pas eux manifestement, en témoigne mon récent cuisant échec chez Delcourt, où je crois que je n'arriverai jamais à parvenir à mes fins...) ! Je rêverais bien sûr d'un projet avec Andréas, mais cela n'arrivera jamais, avec Blain, Leo, Bonhomme, Vallée, Larcenet, Schuiten, De Metter, Tomine, Tan et tant d'autres, j'aimerais bien aussi co-signer avec un des mes collègues scénaristes un projet à deux, histoire de voir ce qu'on pourrait vraiment faire - Nury, Alcante, Dorison, Vehlman, Convard et d'autres encore, je me sens proche d'eux... Et puis signer un album chez Aire Libre ou chez Futuropolis, chez Dupuis aussi, revenir chez Casterman... Tant d'envies !

28 albums en dix ans... Quand je pense que certains de mes confrères arrivent à ce score en une seule année seulement ! Mais je ne regrette rien et je me projette résolument vers l'avenir. Merci à vous tous qui me faites l'amitié de me lire et m'encourager...

7 commentaires:

Brieg Haslé-Le Gall a dit…

et nous continuerons à le faire ! (te lire et t'encourager)
vivement les prochains ! amitiés

Olivuer d'Arc-En-Ciel a dit…

J'ai d'abord connu le Laurent Frédéric Bollée version sports mécaniques avant de découvrir sa version scénariste de BD avec beaucoup de joie, de plaisir et d'admiration.

Je suis heureux de l'écrire modestement ici, moi qui devrais avoir (enfin !) le temps ce soir de découvrir le premier tome d'un Long destin de sang.

Olivuer d'Arc-En-Ciel a dit…

Ce premier tome est très intéressant. Dense, virevoltant d'un personnage à l'autre, d'un mystère à l'autre avec l'envie de découvrir en quoi ils sont inéluctablement liés. Le dessin est sombre et porte l'intrigue ; l'intrigue est sombre et porte le dessin. On se prend à en imaginer une version cinématographique. Attendre la suite : quel long destin de... lecteur

LFB a dit…

Excellent !

Anonyme a dit…

j'adore cet article, cette profession de foi quasi religieuse :-) Je te souhaite une bonne continuation, et bien sur le succès. Amitiés

Brieg Haslé-Le Gall a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Brieg Haslé-Le Gall a dit…

Hello Laurent,
Juste pour te remercier toi et Fabien de la chouette dédicace et te féliciter pour "Un long destin..."
Cet album est tout bonnement remarquable ! Bravo et encore merci.
Amitiés