Entendue ce matin sur France Info, au cours d'une interview de Jean Giraud-Moebius, la réflexion suivante : "il n'y a aucune BD qui fait scandale". Et le Maître manifestement de le regretter, prenant aussi pour exemple Quai d'Orsay (qui aurait dû susciter beaucoup plus de réactions, dit-il) et concluant que la BD est victime d'une sorte de "péché originel" qui fait qu'on ne la considère pas comme sérieuse...
J'ai réfléchi à cette constatation, et voici ce que j'ai envie de dire aujourd'hui. D'abord, je ne cautionne pas forcément le mot "scandale". Très rares sont les livres, après tout, à vraiment faire un soi disant "scandale" dans notre société bien plus consensuelle qu'il n'y paraît. Les notions d'impact ou d'événement me semblent plus justes et appropriées. Et Quai d'Orsay, pour reprendre cette référence (mais on pourrait aussi citer Il était une Fois en France) rassemblent ces deux critères. C'est déjà appréciable. Car quel livre de littérature ou d'essai aurait fait scandale en 2010 ? Le livre d'Onfray sur Freud, oui, peut-être. Mais on n'en voit pas forcément d'autre.
Une BD qui fait scandale, j'en vois pourtant une : Tintin au Congo. Ce qui nous amène à la notion suivante, qu'on oublie toujours : le fameux scandale, s'il doit y en avoir un, vient presque toujours après. C'est avec le temps qu'il éclate (éventuellement). A part donc des actes de provocation pure et délibérée, on ne peut donc pas regretter un "scandale" qui , par nature et presque par essence, ne peut pas être simultané à la diffusion de l'oeuvre. Cela étant, Moebius a raison lorsqu'il évoque le regard qu'on porte sur la BD. Un dessin de presse peut dénoncer et avoir une dimension sociétale immédiate. Je dis bien : un dessin de presse. Or, une BD n'est pas une succession en cases de dessins de presse. C'est a priori (et c'est en tout cas ma définition) un récit, un type d'écriture qui mêle mots et dessin. Un art tout à fait noble et essentiel, bien sûr, mais qui cherche avant tout à raconter, à témoigner, à imaginer, à inventer (pas forcément à évader ou à détendre, qu'on soit bien d'accord). Qu'une BD puisse ainsi atteindre le statut de "brûlot" (qui pourrait correspondre à celui de "scandaleux") me semble donc assez irréaliste.
Ce n'est pas pour ça qu'une BD ne pourrait pas avoir un impact (j'en reviens à ce terme) aussi fort qu'un roman. Le Choix de Sophie est inoubliable, Maus l'est tout autant. Mais pour le faire savoir, il faut des passeurs, des relayeurs : critiques, journalistes, animateurs, autres auteurs - il faudrait que la BD soit plus exposée, plus expliquée, plus respectée peut-être. Et elle trouverait un peu plus sa place dans la culture au sens large. Ce qui lui fait encore défaut, il faut bien le reconnaître. Et ça, Moebius, le sait mieux que personne.
4 commentaires:
je suis bien d'accord avec toi, je crois en fait que les projets de BD pouvant susciter le débat sont nombreuses mais... sont recalées par les éditeurs ne voulant pas courir le risque de contrevenir au sacro-saint politiquement correct. Un exemple: on constate une prolifération des BD anti-Sarkozy, c'est une cible facile et il est de bon ton de s'affirmer anti-Sarko. Qui osera faire un album résolument de droite, par exemple avec en toile de fonds les problèmes d'immigration et de délinquance vécus non pas par les jeunes, mais bien par des victimes? Autre exemple: quid d'un récit mettant en scène un islamiste rabique? Ou encore: le thème de la collaboration du Parti Communiste Français avec l'URSS dans leurs ambitions expansionnistes? Tu le sais aussi bien que moi, de tels récits ne passeront jamais parce que ils sont politiquement non-corrects.
et le déclic de manara ?
Si LFB le permet, je vais compléter mon point de vue: en 2010 (et a fortiori 2011) où la vulgarité et le voyeurisme sont devenus une partie du quotidien, il n'est pas surprenant que le porno-chic (ou moins chic ;-)) fasse son retour en force. Mais qui en sera encore choqué? Des idées qui dérangent vraiment, ça ce serait inédit, et pourtant... Vu de chez moi, il y a de quoi avoir peur des sondages qui indiquent que Marine Le Pen soit de plus en plus jugée crédible en France, à l'instar de Geert Wilders aux Pays-Bas (islamophobe, raciste basique, et j'en passe). Larcenet, dans son combat ordinaire, a levé une partie du tabou: les amis de l'usine votent FN, et ils ne sont pas dépeint comme des fieffés c... Mieux: Larcenet cherche à comprendre ! Serait-ce le seul auteur qui ait osé? Dans un autre genre, existe-t-il un Houellebecq de la BD ? LFB, je parlerais de ça durant des heures, ce n'est pas l'endroit.
A priori, je ne considère pas une BD érotique comme scandaleuse en soi. C'est un genre comme un autre, qui a droit de cité. Le scandale viendrait d'un traitement malsain, à la rigueur, de l'érotisme... ce qui n'est pas le cas me semble-t-il du Déclic.
Enregistrer un commentaire